Place du dosage de la calprotectine fécale et des marqueurs pharmacologiques des biothérapies anti-TNF
Suivi non invasif des patients MICI
Au-delà des traitements, le suivi régulier des patients avec une Maladie Inflammatoire Chronique de l’Intestin (MICI) est au cœur de leur prise en charge. La qualité de leur surveillance conditionne la qualité de leur prise en charge et permet d’ajuster au mieux leur traitement aux cibles thérapeutiques que l’on s’est fixées. Ce suivi permet ainsi :
- De détecter précocement la rechute d’une poussée de MICI avec des signes objectifs de maladie active, et d’évaluer sa sévérité,
- D’évaluer la réponse au traitement,
- De contrôler la cicatrisation de la muqueuse.
Le dosage de la calprotectine fécale est désormais pris en charge par l'assurance maladie. Son périmètre de remboursement est résumé ci-dessous 1 :
- Diagnostic de MICI (adulte et pédiatrique)
- Prescription par les hepato-gastroentérologues et pédiatres
- Absence de rectorragies
- Absence d’élévation de la CRP
- 2 dosages annuels maximum par patient
Le traitement des MICI repose sur le concept du traitement à la cible « treat to target » (T2T) 2 :
Principes généraux du « Treat to target » (T2T - traitement à la cible)
Tous les éléments - cible, traitement et suivi - sont adaptés aux besoins de chaque patient
La désescalade thérapeutique peut être envisagée lorsque les objectifs du traitement sont atteints
Une approche T2T vise à définir en consultation avec le patient un objectif de traitement à atteindre, implique une surveillance continue de l’activité de la maladie et une adaptation du traitement jusqu’à ce que l’objectif soit atteint.
Les principales cibles à atteindre ont été définies à l’occasion du consensus STRIDE 2 et sont rappelées ci-dessous2 :
D’après Turner et al. Gastroenterology 2020
Brièvement, l’objectif à court terme est d’atteindre une réponse symptomatique puis une rémission clinique avec normalisation de la protéine C réactive puis à moyen terme d’obtenir une réduction de la calprotectine fécale et à plus long terme une cicatrisation endoscopique et une amélioration de la qualité de vie2.
La surveillance des MICI doit privilégier l’utilisation d’outils non invasifs afin de favoriser l’acceptabilité des patients au suivi sur la durée et contribuer à réduire les contraintes liées à la répétition des examens et améliorer ainsi sa qualité de vie3.
Parmi les outils de suivi non invasifs, la calprotectine fécale et les marqueurs pharmacologiques (taux résiduels d’anti-TNF et recherche d’anticorps dirigés contre une biothérapie) sont devenus incontournables4.
Qu’est-ce que la calprotectine fécale ?
Appelée aussi protéine S100 A8-A9, la calprotectine est une protéine majoritaire contenue dans le cytosol de différentes cellules inflammatoires, notamment les granulocytes. L’inflammation et les lésions dans le tractus digestif s’accompagnent de façon proportionnelle à une exsudation de cellules inflammatoires dans la lumière digestive. Cette protéine est résistante à la dégradation par les protéases microbiennes contenues dans la lumière et est facilement dosable à partir d’un échantillon de selles. Son élévation n’est pas spécifique d’une MICI et peut se voir dans diverses situations. Tandis que le dosage de la protéine C réactive reflète l’inflammation systémique, l’élévation de la calprotectine fécale est le reflet de l’inflammation intestinale4,5,6.
Situations susceptibles d’augmenter les taux de calprotectine fécale6
- Gastrite et maladie ulcéreuse gastro-intestinale (hors MICI en poussée)
- Maladie coeliaque
- Infections digestives
- Diverticulite colique
- Polypes coliques avancés, cancer colorectal
- Médicaments : anti-inflammatoires non stéroïdiens, antisécrétoires acides types inhibiteurs de la pompe à protons
- Inflammation intestinale non MICI : iatrogène, ischémique, radique, microscopiques.
Quelles sont les conditions de prélèvements de selles et les conditions de dosage pour une mesure fiable de la calprotectine ?
Afin d’éviter de contaminer les selles par l’eau des toilettes et les urines, il est conseillé de proposer systématiquement un kit dédié de prélèvement de selles. Un échantillon (au moins 1 g) de la première selle du matin va être collecté dans un pot de selles. L’échantillon peut être conservé à +4°C ou à température ambiante jusqu’à 72 heures maximum (sans affecter la qualité des résultats) avant d’être transmis au laboratoire d’analyses médicales. Le dosage de la calprotectine fécale est réalisé au laboratoire par une méthode immuno-enzymatique simple et rapide. Néanmoins, en fonction de la méthode de dosage utilisée, on observe une variabilité des mesures justifiant les conseils au patient de réaliser ses dosages dans le même laboratoire pour faciliter l’interprétation des résultats à partir de mesures consécutives5.
Quelle est la plus-value du dosage de la calprotectine fécale comparée à la CRP ?
Une majorité des patients avec une RCH en poussée légère à modérée et 20% des patients avec une maladie de Crohn et des lésions endoscopiques actives ont un taux de protéine C-réactive (CRP) normal. En outre, la CRP est un marqueur d’inflammation systémique qui s’élève dans des conditions d’inflammation et d’infection extradigestives tandis que la calprotectine fécale reflète l’inflammation intestinale. La performance du dosage de la calprotectine fécale à distinguer les patients avec une MICI en poussée de ceux avec une MICI en rémission est supérieure à celle du dosage de la CRP. Néanmoins l’élévation de la calprotectine fécale n’est pas spécifique d’une poussée de MICI5,6.
Quelle est la place du dosage de la calprotectine fécale dans le diagnostic et le suivi d’une MICI ?
Le périmètre du dosage de la calprotectine fécale couvre à la fois le diagnostic et le suivi des MICI. Chez des patients avec des symptômes digestifs, la calprotectine fécale permet de différencier la pathologie fonctionnelle de la pathologie organique et ainsi de réduire un certain nombre de coloscopies inutiles. Une calprotectine fécale inférieure à 50 µg/g de selles est performante pour évoquer un syndrome de l’intestin irritable et le distinguer d’une pathologie organique qui justifierait des examens complémentaires.
Chez les patients avec un diagnostic de MICI, le dosage de la calprotectine est utile au clinicien dans différentes situations4,5, et notamment pour distinguer une MICI active d’une MICI en rémission chez un patient symptomatique (le syndrome de l’intestin irritable étant surreprésenté dans les MICI), pour évaluer la réponse à un traitement, pour identifier le risque de rechute chez un patient avec une MICI en rémission symptomatique, pour évaluer dans la maladie de Crohn opérée, les patients à risque de récidive endoscopique postopératoire dans l’année, pour évaluer la cicatrisation endoscopique de façon non invasive6.
Comment interpréter les résultats en fonction de la situation clinique ?
Le seuil de 50 µg/g de selles est recommandé pour distinguer une pathologie fonctionnelle d’une pathologie organique. Dans la rectocolite hémorragique (RCH), une concentration de calprotectine fécale supérieure à 150 mg/g de selles chez un patient symptomatique est suffisante pour attester de la poussée de la maladie et éviter la réalisation d’une rectosigmoïdoscopie. Dans la maladie de Crohn, une calprotectine fécale supérieure à 250-300 µg/g est associée à une maladie active. Ce seuil de calprotectine fécale varie selon l’activité de la maladie, mais aussi sa localisation (les formes atteignant exclusivement l’intestin grêle étant associée à des concentrations faibles de calprotectine fécale). En situation postopératoire de la maladie de Crohn, le seuil de 100 µg/g est le plus souvent retenu pour évaluer le risque de récidive endoscopique postopératoire. Les seuils habituels sont résumés dans ce schéma5, 6 :
D'après Nancy et al. A Practical Guide for Faecal Calprotectin Measurement: Myths and Realities
A quel rythme surveiller la calprotectine fécale chez un patient avec une MICI en rémission clinique ?
La performance du dosage de la calprotectine fécale pour détecter la rechute d’une poussée de la MICI chez un patient asymptomatique est bien démontrée. Le seuil de calprotectine fécale à 250 µg/g est consensuel, mais dans cette situation, la cinétique d’évolution des concentrations de calprotectine est importante justifiant en cas d’élévation isolée de refaire un dosage 3-4 semaines plus tard pour confirmer ou non l’élévation avant une modification du traitement (intensification ou changement de traitement de fond) 7, 8. Ainsi, en cas d’élévation de la calprotectine fécale chez un patient en rémission clinique, le risque de rechute est plus élevé à la fois dans la maladie de Crohn et dans la RCH7. Un rythme de dosage tous les 6 mois de la calprotectine fécale parait suffisant pour détecter une nouvelle poussée.
Les 10 points clés pour un dosage et une interprétation optimale des résultats de la calprotectine fécale
- Connaitre les facteurs confondants responsables d’une élévation de la calprotectine fécale.
- Connaitre les situations dans lesquelles le dosage de la calprotectine fécale est utile.
- Informer le patient des conditions de prélèvements de selles incluant la conservation 3 jours maximum à température ambiante.
- Proposer un kit de dosage des selles.
- Conseiller au patient de réaliser le dosage de calprotectine fécale dans le même laboratoire pour limiter la variabilité du dosage.
- Savoir proposer un kit de dosage de la calprotectine fécale à domicile (non remboursé) aux patients réticents à transporter des échantillons de selles au laboratoire.
- Savoir intégrer le dosage de la calprotectine fécale à d’autres outils de surveillance de la MICI (échographie, IRM, endoscopie, vidéocapsule …).
- Proposer de répéter le dosage de la calprotectine fécale en cas d’élévation isolée.
- Interpréter les résultats de son dosage en fonction de la situation clinique.
- Connaitre les conditions du remboursement du dosage de la calprotectine fécale.
Article rédigé en collaboration avec un gastro-entérologue.
Anti-TNF : Anti Tumor Necrosis Factor
Références
- https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049144826.
- Turner D, Ricciuto A, Lewis A, D'Amico F, et al. International Organization for the Study of IBD. STRIDE-II: An Update on the Selecting Therapeutic Targets in Inflammatory Bowel Disease (STRIDE) Initiative of the International Organization for the Study of IBD (IOIBD): Determining Therapeutic Goals for Treat-to-Target strategies in IBD. Gastroenterology. 2021 Apr;160(5):1570-1583.
- Nancey S. Le suivi non invasif: un atout pour le patient ? Hepato-Gastro 2022 ; 29 : 29-36.
- Nancey S, Danion P, Flourié B, Boschetti G. Biomarqueurs, comment les utiliser en pratique ? Hepato-Gastro 2018 ; 25 : 16-25
- Stéphane Nancey, Silvio Danese, Laurent Peyrin-Biroulet. A Practical Guide for Faecal Calprotectin Measurement: Myths and Realities. J Crohn’s Colitis 2021; 15: 152-161.
- Clough J, Colwill M, Poullis A, et al. Biomarkers in inflammatory bowel disease: a practical guide. Therap Adv Gastroenterol. 2024 May 9;17:17562848241251600.
- Sakurai T, Saruta M. Positioning and Usefulness of Biomarkers in Inflammatory Bowel Disease. Digestion. 2023;104(1):30-41.
- Mao R, Xiao YL, Gao X, et al. Fecal calprotectin in predicting relapse of inflammatory bowel diseases: a meta-analysis of prospective studies. Inflamm Bowel Dis. 2012 Oct;18(10):1894-9.